Shakti and Shakta

by John Woodroffe | 1929 | 243,591 words

A collection of papers and essays addressing the Śakti aspect of the Śākta school of Hindu philosophy by John Woodroffe, also known as Arthur Avalon....

Appendix II - Quelqes Observations Sur Le Rituel Hindou

[Deux Conférences données par l’àuteur à la Societé Théosophique et à l’Association Francaise des Amis de l’Orient à Paris, 1921.]

On commence toutes choses, aux Indes, avec le grand Mantra Oṃ, qui est la semence de tous les Mantras, qui représente Braham et ainsi renferme toute la connaissance spirituelle des Hindous.

C’est, comme son, 1’écho approximatif du premier et fondamental mouvement vibratoire et créateur. Je dis approximatif, parce que le Mantra, tel que nous le prononçons, est exprimé par une bouche humaine imparfraite et limitée, perçu par une oreille grossiere et limitée. Le veritable son est prononce par l’organe parfait et absolu du Seigneur et entendu par son oreille supreme et absolue.

Mon sujet est le Rituel Hindou. On bien dit que le Rituel est l’art de la Religion. Mais pour le comprendre il fault connaitre la doctrine dont il est l’illustration. J’ai lu souvent des critiques qui partent d’une inintelligence complète du Rituel Hindou. Il est vrai que cette inintelligence résulte souvent de l’ignorance du sens. Un télégramme chiffré parait du galimatias à qui n’en connait pas la clé. Les Mantras tels que Aiṃ, kliṃ, hriṃ, striṃ, etc., sont intelligibles aux seuls initiés. Il faut donc étudier d’abord la métapsychique et la psychologie hindoues.

J’ai parlé de Braham; ce terme signifie l’Incommensurable.

Les personnes et choses du monde constituent le mesurable.

Le mesurable est produit par le pouvoir de l’Incommensurable, et comme l’Incommensurable est en soi-même pure conscience, le monde de l’esprit et de la matière est produit par le pouvoir de la conscience.

Comment s’appelle-t-il, ce Pouvoir?

Māyā. Ce terme à mon avis est mal traduit par le mot “illusion.” Si, par exemple, je prétends voir une chose qui n’existe pas, ou si je vois une chose qui existe mais que je la voie d’une façon erronée, dans ce cas on parle avec raison d’illusion.

Mais comment peut-on qualifier d’illusion une expérience telle, que celle de la réalité de l’univers, une experience que tout le monde partage?

Le Monde est réel. Il n’y a peut-être pas de doctrine aussi mal comprise qus celle qui traite de la “réalite du Monde.”

Comme je l’ai expliqué dans mon livre “La Réalité,” toutes les philosophies hindoues sans exception, en tant qu’épistémologies sont foncièrement réalistes—plus réalistes même que le réalisme des écoles occidentales. Etant donné que pour tout adorateur il y a un lien réel entre la cause ou Pouvoir invisible et l’effet ou pouvoir visible, et que, d’autre part, le Pouvoir invisible est réel, il s’ensuit que son effet est réel. Mais l’effet que nous appelons monde n’a pas la réalité de la Cause Suprême, parce qu’il ne dure pas comme dure cette cause. La cause en elle-même est immuable. L’Univers apparait et disparaît.

Māyā est donc le Pouvoir infini qui mesure, c’est-à-dire qui crée les formes qui sont mesurables ou finies.

Māyā est le pouvoir de 1a pure conscience qui est la grande Peraonnalité (Parāhantā), le grand Moi (Purnāham).

Le grand Moi est Etre infini, pure conscience et joie éternelle. Sa puissance s’appelle en Sanscrit Śakti.

Cette puissance a deux aspects: Aspect supreme, immense, comme cause; aspect mesurable, comme effet— c’est-à-dire les personnes et les choses du monde.

La puissance et celui qui la possède ne sont qu’une seule réalité.

Ce Pouvoir, ou Śakti, se manifeste sous des formes limitées. Ces formes sont le Pouvoir se montrant en tant qu’effet. Il faut se rappeler que selon le Vedānta moniste Dieu est la cause materielle du monde: l’effet est donc la cause ou Pouvoir modifié. Le Pouvoir qui crée ces formes est appelé Māyā, et les formes ainsi produites sont nommées, Ignorance ou Avidyā.

Ignorance veut dire conscience limitée. La Conscience en soi-même, diesociée de l’esprit et de la matière, est illimitée. L’Ignorance est, de notre point de vue, une contraction de la conscience infinie, illimitée. La conscience limitée est l’expérience mondiale du petit moi. La conscience illimitée est la parfaite experience du Seigneur ou du Grand Moi. Le mot Sanscrit pour Seigneur est Īśvara, que signifie Celui qui construit, qui gouverne.

Ainsi que ce mot l’indique, le Seigneur est la Grande Personnalité visible comme Monde.

Le Moi Suprême a Lui-même un “fondement”: l’Immense, l’Impersonnel, l’Invisible, le Transcendant et sans nom. De façon analogue le grand philosophe du Moyen Age, Eckhardt, distingue entre Dieu et la Divinité.

Dieu ou le Seigneur (Īśvara) est l’Incommensurable vu à travers la Māyā; c’est-à-dire l’expérience limitée dualiste. On se trompe en parlant d’un Seigneur illusoire. Le Seigneur est l’Incommensurable tel qu’il se présente à la conscience limitée. Le Brahman en soi-même n’est pas connaissable, sauf par ceux qu’un yoga parfait a libérés de toutes les limitations dualistes.

Quelques-unes de sea crétures, empruntant le vocabulaire humain, l’appellent Père. D’autres, comme la communauté religieme hindoue qui porte le nom de Śākta—les adorateurs de son pouvoir ou Śakti—invoquent la personne suprême (Parāhantā) comme Mère. Néamoins il est dit dans les éritures de ces Śāktas que le Moi n’est ni mâle ni femelle, ni neutre. Le Moi est indescriptible, accessible seulement par Bhāva ou élan d’adoration et les procédés de la Yoga. Mais de toute nécessité il faut pour le désigner employer des expressions de la vie quotidienne. On l’adore alors avec raison comme. Mère (qui donc nous est plus cher que notre Mère humaine?) parce qu’Elle—la Divinité, la Déesse—conçoit et porte l’univers dans son sein par l’imagination (Kalpani) du suprême Moi—une imagination non pas arbitraire, mais qui se dirige suivant les tendances (ou Saṃskāra) résultant des actions des Êtres individuels dans le passé d’une infinite d’univers. Elle enfante l’univers, le nourrit et le protege. Les Hindous donnent au Seigneur ce titre adorable: Jagadbandu, qui signifie “Ami du Monde.” En tant que nous sommes nous-mêmes amis du monde nous participons, à la nature divine.

En soi-même Elle est être infini, conscience pure, et joie êternelle.

Considérée comme la Puissance de l’Etre, sa figure rayonnante est l’esotérique Soleil, et les rondeurs de ses deux seins sont, ésotériquement parlant, la Lune et le Feu. Ces trois feux ne sont pas les lumières physiques que nous connaissons, mais des aspects de la Puissance créatice;

ils correspondent au Moi (Ahaṃ) qui connait, à l’objet connu (lequel, selon l’expérience humaine, est le non-moi), et à l’union des deux qui donne lieu à l’expérience que nous avons du monde.

J’ai parlé de l’âme de l’univers. Le Corps de la Déesse est la collectivité psychique et physique, c’est-à-dire tous les Esprits et toute la matière du monde. Comme collectivité des Esprits, la grande Personnalité fait l’expérience du monde entier en tant qu’intelligible. Comme collectivité physique, ce Moi fait l’expérience du monde entier en tant que matériel. L’expérience du Grand Moi est infiniment riche parce qu’il est conscience illimitée, associée avec la collectivité psychique et physique comme corps. La Grande Personnalité, sous forme du Moi limitée—l’individu comme homme, animal ou plante—jouit de notre expérience terrestre.

Ainsi son corps est triple: il est corps comme Cause ou Pouvoir créateur infini; il est corps subtil ou pouvoir mental fini; il est corps grossier, palpable, pouvoir matériel fini. Le Moi Supréme a Lui-même un “fondement”: le Brahman jmpersonnel, invisible, transcendant et sans nom.

La Désse créatice s’appelle Mahātripurasundarī, “la Belle au teint de Rose, couleur d’Aurore.” C’est la Déesse tutélaire de la doctrine et des pratiques connues sous le nom de Śrīvidyā, ainsi que du culte appelé Hādimata; c’est la même qui, sous l’aspect de Mahākāli (l’object du culte Kādimata), noire comme un nuage orageux, engloutit le Temps (ou Kāla) qui paraît avec le Soleil, la Lune et les astres physiques. Mahākāla, ou le Temps suprême,—parce qu’il y a deux temps—est un des Noms de Dieu même. Je remarque ici qu’il est indifférent de dire Dieu ou Déesse. On appelle Dieu Śiva, qui veut dire “le Bon,” ainsi que dans la langue anglo-saxonne le mot “God” derive du mot “Good.” Mais pour distinguer entre Dieu et son Pouvoir qui se manifeste comnle Monde, on nomme le premier du terme masculin Śiva, et le second du terme féminin Śakti qui signifie puissance. C’est ainsi que le Shekhinah du Talmud des Juifs est féminin. Rappelons-nom également la Magna Mater des Greces, des Romains et d’autres peuples de l’antiquité. Le culte de la Mère est très ancien. Śiva, ou le Dieu en soi, est l’aspect statique de l’Immense, ou Brahman. Śakti, ou sa Puissnnce, est son aspect dynamique—Dieu en action—immense aussi conme Puissance, mesurable seulement dans ses effets, c’est-à-dire les personnes et les choses du Monde. Ce sont là deux noms pour une seule réalité. Mais de préférence le Śākta ou adorateur de Śakti adore la Mère-Puissance parce qu’elle est visible dans ses formes et proche de now. Nous la connaissons sous l’aspect du Monde, qui est son corps. Le Brahman transcendant n’est réalisé que dans l’extase du Yoga. Ainsi l’on dit: “Le Père n’est rien pour moi, pourvu que je sois assis sur les genoux de la Mère.”

J’ai indiqué sommrairement l’objet de culte. En résumé et abstraction faite de toute mythologie, de tout symbolisme, la doctrine philosophique est une forme de Vedānta moniste enseignant l’existence d’une seule réalité fondamentale, l’Etre pur, qui est pure conscience et joie immuable. Il existe comme Pouvoir d’être, lequel est la cause du changement. Il n’y a pas deux choscs, mais une seule sous deux aspects: l’Etre invisible et inconnaissable— en ce sens qu’il n’est pas un objet—dont le Pouvoir en soimême (en Sanskrit Svarūpa c’est-à-dire être infini-consciencejoie) ne se manifeste point, et l’Etre visible, ou Puissance manifestée.

Au moment de 1a manifestation il y a une dichotomie apparente du Moi et du non-Moi, du sujet et de l’objet, de l’esprit et de la matière. L’esprit, au sens d’intelligence est l’Etre pur se manifestant sous 1s forme subtile limté de l’intelligence; et la matière est le même Etre sous la forme grossiêre et palpable. La puissance qui se manifeste contient la semenee ou essences de tendances (Saṃskāra) vers la manifestation, et ces tendances sont produites par les actions des univers infinis du passé. Pour parler plus simplement, l’Univers tel qu’il est, existe parce que, en principe du moins, il a déjà existé, et il existera tel qu’il sera, parce qu’il existe maintenant et qu’il est en train de produire des tendances qui se manifesteront dans l’univers futur. Quand ces tendances sont prêtes à parsître, c’est-àdire se trouvent dans des conditions favourables, le monde naît du sein de la Puissence. Il y a une évolution des principes constituants de l’univers qui se combinent pour constituer la hiérarchie des Etres—plantes, animaux, hommes, esprits.

L’aspect impersonnel de l’Immense en soi-même est le sujet du yoga. Son aspect en tant que grande Personnalité que l’on adore et qui nous aide, est le sujet de Sādhanā.

Je ne m’occupe pas ici du Yoga, mais du culte rituel, ou Sādhanā, mot dérivé de la racine sanskrite Sādh qui signifie “faire des efforts.” Si ces efforts ont l’effet désiré, le succés ou accomplissement s’appelle Siddhi. Le terme alors est très compréhensif et ne se restreint pas à une signification religieuse. Par exemple, un homrne déire connaître la langue française. Son étude pour atteindre ce but est Sādhanā. S’il réussit il obtient un Siddhi, en l’espéce la connaissance de la langue française. Il est Siddhu ou accompli en ce qui concerne cette connaissance. Un autre essaie d’obtenir des pouvoirs magiques. Il se livre à des pratiques pour les acquérir. Les moyens qu’il emploie sont du Sādhanā magique. Pour cette raison les Orientalistes européens traduisent souvent le mot Sādhanā par “évocation magique.” Mais la signification n’est pas aussi restreinte. La signification la plus génerale de Sādhanā est discipline de soi comme purification du corps et de l’esprit, étude et discussion des Védas et autres écritures sacrées, pratique des vertus, adoration, et toutes les formes du culte rituel. Celui qui accomplit aveo succès le rituel eat Siddha en rituel. Celui qui est Siddha dans les hautes formes de Sādhanā (car il y en a plusieurs) est qualifié pour entrer dans la voie du Yoga. Celui qui est accompli ou Siddha en Yoga est dispense de tout rituel à proportion des progrès qu’il a obtenus. Alors commence le Yoga Sādhanā. Celui qui fait le Sādhanā est appalé Sādhaka. La différence fondamentale entre Sādhanā et Yoga est qu’il y a toujours un objet dans le Sādhanā, comme culte rituel. Dans le culte Śākta (car les cultes et doctrine varient) on tâche de s’identifier avec l’objet du culte. Mais, en vérité, la distinction entre l’adorateur et ce qui est adoré subsists. On est toujours dualiste, même si l’on professe une doctrine fonciérement moniste. Mais par la pratique on approche de plus en plus de la réalisation de l’identité entre le suprême Moi et le moi limité et individuel. En Yoga il y a réaisation actuelle de cette identité. Prenons, par exemple, le rite connu sous le nom de Bhūta-Śuddhi. Selon la philosophie Sāṃkhya il y a plusieurs principes constitutifs de l’univers et, par consequent, du corps humain. Rappelons-nous en effet que le corps humain est un microcosme (Kṣudrabrahmānda) contenant tout ce qu’il y a dans l’univers ou macrocosme. Ces principes ont des centres particuliers d’opération dans l’organisme humain; ils procuent les uns des autres. Dans le rite appelé Bhūta-Śuddhi on s’efforce par l’imagination de purifier les centres et d’absorber les éléments inferieurs et plus matériels dans les éléments plus subtils d’ou ils sont sortis par évolution. De cette manière on arrive à Śiva et Śakti eux-mêmes, dans leur demeure du lotus aux mille pétales, qui est, dans son sens physique, la partie supérieure du cerveau. Mais tout ce processus n’a lieu qu’en imagination. Dans ce qu’on appelle KuṇḍalinīYoga, on éveille réellement de son sommeil la Déesse sous la forme d’un serpent entourant le Liṅga, ou principe mâle, dans le centre le plus bas de l’organisme (le Mūlādhāra).

En Yoga il y a ainsi réalisation effective de l’indentité de la conscience et de la puissance—de Śiva et de Śakti. La conscience est l’être essentiel qui apparaît comme organisme limité, et sa puissance manifestée est l’esprit et le corps physique. Comme il y a plusieurs genres de Sādhanā, il y a plusieurs voies de Yoga, telles que le Karma Yoga, le Bhakti Yoga et le Jñāna Yoga. La caractéristique de cette doctrine est qu’elle prèche la conciliation entre la jouissance du monde ou Bhoga, et le Yoga, tandis que selon les autres doctrines s’il y a Yoga dans le sens de renoncement au monde, il n’y a pas Bhoga,, ou jouissance du monde. Il est dit ainsi qu’on peut gagner la libération même en mangeant le fruit doux et sucre du monde. Il n’est pas nécessaire de s’enfuir du monde. Le monde est la Déesse elle-même comme une forme de puissance. Ce, qu’il faut faire, c’est connaître cette indentité et dans toutes les fonctions physiques et les actions s’identifier avec Elle en chant: Sā’ham “C’est elle que je suis.” Ainsi le Sādhaka ou celui qui fait le Sādhanā en buvant du vin selon les rites, offre le vin à la bouche de la Déesse Kuṇḍalinīen son propre corps. Ce n’est pas lui seul—l’individu limité—qui boit, mais la Déesse qui se manifeste comme Sādhaka.

En Europe on commence à connaitre quelque peu le Yoga mais on ne sait presque rien de sa condition prealable, le culte rituel ou Sādhanā. Certaines personnes même s’efforcent de pratiquer le Yoga sans y être qualifiées, faute d’etude et de pratique préliminaires. Par une faiblesse naturelle nom somnles trop portés à nous croire doués des qualités nécessaires pour les plus grandes entreprises.

Oú trouve-t-on ce rituel? A ce propos on ignore un fait de première importance: C’est que la plus grande partie du rituel des Hindous derive des écritures nommées Tantras. Le reste fait partie du rituel védique—tel le Homa ou sacrifice dam le feu—et des Purāṇas, qui contiennent aussi maints rituels Tantriques. Donc, si on veut s’initier au rituel Hindou il faut connaitre les Tantras ou Āgamas des diverses écoles—Saura, Gānapatya, Vaiṣṇava, Śaiva, Śākta. C’est une erreur trop répandue, de confondre le Tantra Śāstra avec les Śāktas, qui ne sont qu’une des écoles ou communauté d’adorateurs de l’Āgama, ou tradition religieuse. Les abus mêmes qu’on impute aux Śāktas (et de tels abus eont prouvés) peuvent être reprochés aussi aux autres comnmnautés. Tout rituel est sujet à des abus, surtout lorsque le vin et la femme y ont part. En ces matières il faut d’abord distinguer entre la doctrine des écritures et les abus de ses adhérents, et aussi entre les écoles et comniunautés religieuses de Sādhakas. Les Tantras jouissent en Europe d’une mauvaise réputation. Il y a aussi des Hinduos qui ayant reçu une éducation occidentale ne les comprennent pas mieux que les Européens.

Ces Ecritures ne sont pas cependant tout entières l’amas de stupidité et de sensualité qu’on a généralement pensé. Sans doute il n’y a pas de fumèe sans feu, mais il peut arriver que l’on prenne ponr de la fumée ce qui n’en est pas, et l’on peut se tromper quant à l’importance du feu. Sans doute aussi il y a des gens qui (avec ou sans raison) abhorrent les pratiques de quelques Tantristes ou de quelques communaités tantriques, mais le mot Tantra ou Āgama, loin de présenter aux yeux des Hindous orthodoxes en général aucune acceptation fâcheuse, déigne pour eux quelque chose de vénérable.

Le mot Tantra dérive de la racine Sanskrite Tan, qui signifie “répandu, propagé.” La syllabe Tra veut dire sauver. Quel objet ainsi répandu, peut sauver? La connaissance. Connaissance de quoi? De tout, c’est-à-dire la connaissance profane et sacrée. Chaque genre de connaissance nous sauve à sa propre façon. La connaissance medicale (il y a des Tantras médicaux et alchimiques) sauve notre existence corporelle. Ainsi Tantra signifie propagation de la connaissance, surtout de la connaissance de Dieu et de la morale, du culte et du Yoga qui nous mènent vers Lui et (selon les Śāktas) nous transfomlent en Lui. Chaque Tantra, comme nos livres, porte un titre quel qu’il soit. Ainsi le Tantra que j’ai cite s’appelle Yoginīhṛdaya ce qui signifie “Coeur de Yoginī.” Yogini est ici la Déesse elle-même, qui est appelée dans un texte Kashmirien le “Coeur du Seigneur.” Les Tantras sont des Śāstras, mot traduit géneralement par “Ecritures,” mais qui vient de la racine Śas, qui signifie contrôler, parce qu’un Śāstra indique et contrôle la conduite des hommes.

L’objet final du culte est le Pouvoir Suprême, quelle que soit sa forme dans le culte. Ici l’objet est la Mère sous ses formes diverses qui sont elle-même. Ces formes sont faites de matière d’intelligence ou d’émotion. Par l’émotion ou Bhāva on peut realiser la Mère d’une manière indescriptible. Quel est alors le but du culte? Il est double. Certaines personnes veulent que l’on cherche l’on obtenir par le culte les choses mondaines, telles que santé, longévité, richesse, enfants, pouvoirs occultes et toutes les autres formes de puissance dont chacune est la Mère sous une forme particulière. D’autres ont de la dévotion pour la Mère elle-meme et cherchent à trouver un bonheur sans fin en la Mère telle qu’elle est en elle-même, c’est-à-dire être pur, conscience pure, joie pure qui surpasse tom le Mondes puisque ces derniers sont ses formes limitées.

Il me reste à indiquer brièvement les moyens de gagner le but désiré, c’est-à-dire les principes et opérations du rituel, qui se fondent sur une profonde psychologie. On doit voir clairement que l’esprit ou l’intelligence n’est pas la conscience. Au contraire l’esprit—ou intelligence, sentiment, volonté—est en lui menie une force inconsciente. Cette assertion paraîtra étrange à des Européens. Néanmoins elle repose sur une doctrine qui se vérifie de plus en plus aujourd’hui. Nous commençons, nous aussi, à comprendre qu’il y a du conscient et de l’inconscient dans l’esprit; notre intelligence parait consciente quoiqu’elle soit une force inconsciente, parce qu’elle est associee à la conscience qui est la nature même de l’Etre en son essence. En effet, la force qu’est l’intelligence parait émietter la conscience et produire ce résultat qu’au lieu d’avoir une conscience pure et illimitée, nous avons plusieurs consciences limitées. Les matérialistes ont raison à un certain point de vue quand ils affirment que l’intelligence est une chose matérielle. Mais ils ont tort en niant l’esprit en tant qu’Etre pur et Conscience. En Vedānta tout ce qui n’est pas Brahman en soi (Svarūpu) est inconscient sous l’aspect subtil comme intelligence ou sous l’aspect gorssier comme matière.

L’esprit (je parle de Mind ou Intelligence), se répand dans tout le corps physique, ou il y a plusieurs centres d’opération. Ainsi il y a un esprit abdominal dans le Maṇipūra Cakra qui dirige les fonctions de cette partie du corps. Mais le centre de l’intelligence est le cerveau, dont la partie supéieure s’appelle le Lotus au Mille Pétales. (Peut-etre les circonvolutions du cerveau ont-elles suggéré l’idée de ces mille Pétales.)

Dès lors, de quelle façon se produit la connaissance d’un objet? La théorie védantique sur ce point commence à se faire admettre; elle donne une explication de la télépathie et autres phenomènes occultes. Il faut se rappeler d’abord que l'intelligence n’est jamais sans avoir quelque objet vers lequel elle se dirige. On voit un objet, par exemple un triangle renversé—le symbole de la Mère. En le voyant un rayon Mental (Mind-ray) va au-devant de l’objet, le saisit, le pénètre et l’illumine. Le rayon lui-même est opaque comme les rayons X. Mais, de même que ce rayon physique il délaire l’objet qui, sans cela, serait obscur. Le Rayon retourne au cerveau. L’esprit comme le mental ou Mind, est alors façonné sous la forme de l’objet. Au contraire, l’esprit (comme âme ou conscience) est immuable. La conscience n’est pas une actvité du cerveau. En d’autres termes, la force qui s’appelle esprit ou Mind, prend la forme d’un triangle. Cette théorie est de premiere importance pour l’explication du rituel, et aussi pour l’explication des phénomènes occultes. Tous nous connaiseons leu objets par le moyen des rsyons mentaux. Chez quelques uns ces rayons ont en outre des pouvoirs occultes.

On dit que dans l’inibiation qui s’appelle Veda Dākṣīle Guru, c’est à dire l’initiateur et directeur, projette de sa propre personne dans la personne de son disciple une force qui peut en même temps faire évanouir ce dernier et épuiser le Maître.

Puisque l’esprit ou intelligence a toujours un ohjet et qu’il est façonné selon la forme même de cet objet, le rituel prescrit un bon objet, c’est-à-dire un objet divin. En adorant cet objet divin, l’intelligence est façonnée à la forme de l’objet divin lui-même.

L’objet varie selon la hiérarchie des Sādhkas, ou adorateurs. Pour l’esprit simple il y a une image grossière qui ne laisse rien à l’imagination. Si l’on s’élève plus haut il y a la peinture (on peut ici se rappeler que l’Eglise Orthodoxe, qui proscrit les images, admet les peintures ou icones). Il existe des symboles tels que le Liṅga de Śiva et le Śalagrama de Viṣṇu. Le plus subtil des objets extérieurs est le Yantra c’est-à-dire “l’instrument” par lequel on adore. C’est un diagramme composé de lignes droites ou courbes et d’autres figures comme le grand Śrīyantra aux neuf triangles entrelacés entourés d’autres figures avec un point qui s’appelle Bindu, situé au centre. Le Bindu est un point métaphysique d’Energie suprême, et les autres figures sont ses formes subtiles et grossières. Le Yantra s’appelle le corps d’un Mantra. Chaque Devatā ou forme de le Déesse a son Mantra et son Yantra particuliers.

Le culte de la Devatā est soit extérieur, soit mental et intérieur. Dans le premier cas, il y a un objet exterieur tel qu’une image; dans le second, ou culte supérieur, l’objet est imaginé. Dans le culte extérieur on trouve des formes de rituels qui conviennent aux intelligences simples. Ils sont modelés sur la cérémonie quotidienne. On souhaite à l’image la bienvenue; on lui offre de l’eau pour se laver les pieds, des aliments pour qu’elle se nourisse, etc. Pour les Sādhaka plus avancé, le rituel est plus subtil. Les accessoires du culte comme les fleurs, l’encens, etc., sont nommé upācāras. Les upācāras, dans le culte secret, sont les fonctions physiques du corps qu’on offre à la Déesse. Quand on a mené à bien ces formes supérieures d’adoration, on passe au Yoga et l’on voit réellement, et non par l’imagination, le Point de Lumiere entre les yeux.

Ayant ainsi institué un objet bon et convenable pour l’esprit, le Rituel cherche d’abord à fixer l’esprit sur cet objet et à empécher toute distraction. L’esprit par sa nature se modifie continuellement. On le compare au mercure ou au singe, qui sont toujours en mouvement. Un des procédés principaux pour assurer cette stabilité, consiste à accomplir pendant la journée un grand numbre de cérémonies, ou à répéter un grand nombre de fois des formules et des actes, tels que le Japa ou récitation de Mantra. Ici les Hindous, épris toujours de classification, distinguent trois Japa: le Japa inférieur, simple articulation des lèvres: le Japa mental le plus élevé, et entre les deux ce qu’on appelle Upaṃśu Japa.

Le troisième but du rituel après la sélection d’un objet et la concentration sur lui, est l’identification, en imagination, de l’adorateur et l’adoré. Comme exemple je prends le rite très important qui s’appelle Nyāsa. Ce mot signifie placer. On brûle en imagination le corps du péché. On place les mains sur diverses parties du corps. On pense au divin corps de la Devatā ou du Dieu, et en même temps on place les mains sur le coeur, par exemple, en disant: “le coeur de la Devatā se trouve ici.” De même aur les autres parties du corps. Puis à la fin du rite le Sādhaka fait avec lea deux mains un geste sur tout son corps en pensant qu’il y repand ainsi partout la Divinité. De cette manière, après avoir brûlé (en imagination) le vieux corps, on se construit un corpa nouveau et divin. On imagine ainsi avoir pour corps le corps de la Devatā.

Le rite appelé Bhūtaśuddhi, que j’ai déjà mentionné, est une cérémonie préparatoire à tout culte. C’est un autre exemple trés important de l’identification rituélique de l’adorateur et de l’adoré. Aprés avoir ainsi longuement pratiqué le culte en suivant aussi les régles pour la purification physique du corps (parmi lesquelles celles touchant la nourriture sont trés importantes parce que certains aliments entretiennent les mauvaises passions) et en étudiant et en suivant les préceptes de la morale, le Sādhaka se transforme de plus en plus en la nature de la Divinité qu’il adore. Dans les Upaniṣads il est dit: “Connaître Brahman, c’est être Brahman.” On ne connait point vraiment une chose tant qu’on la connait seulement comme objet. Il faut s’etre identifié avec l’objet. Ainsi les Yogīs chinois, épris de la nature, s’identifient, par exemple, avec une chute d’eau. Il est aussi dit dans le Chāndogya Upaniṣad qu’on devient ce que l’on pense. En pensant toujours à la Divinité, en regardant tout ce qui existe comme une forme de la Mére on devient la Mére elle-même autant que faire se peut, c’est-à-dire en gardant en même temps sa conscience individuelle. On est alors qualifiée pour entreprendre le Yoga, oû l’on tâche de s’élever au-dessus de la conscience personnelle.

Ici, il faut se rappeler que la Mère divine a deux aspects, c’est-à-dire sa nature propre comme conscience absolue, et son aspect comme Monde ou conscience limitée.

Le rituel s’occupe de l’aspect relatif du monde et s’adresse à la conscience limitée d’un pratiquant du rituel. Même si l’on atteint complétement le but du rituel, on a sans doute une vive conscience de la Mère, mais seulement comme objet de connaissance ou comme sentiment. Il en doit etre ainsi jusqu’a ce qu’on devienne un Siddha Yogī, ou Yogi accompli. La Mère alors cesse d’être l’objet; l’adorateur et ce qu’il adore ne faisant plus réellement qu’un. Le trait caractéristique du Kaula Dharma ou religion est qu’il tâche de concilier la jouissance qui s’appelle Bhoga, et le Yoga en tant que vie ascétique. Pour atteindre le but suprême, certaines personnes fuient le monde. Si le monde eat mauvais, séparé de Dieu, on comprend les raisons de cette action, mais en même temps il faut se demander si elle est efficace. Car comment peut-on échapper au monde? De plus, le monde est un aspèct de la Mère. Il y a des gens qui pratiquent les austérités. Un beau chapitre (le premier) du Kulārṇava Tantra ou “Océan de la doctrine Kula” remarque à ce sujet: “Les ânes vont tout nus. Devons-nous les tenir pour des Yogis? Les chiens des villages se rodent dans la poussière. Sont-ils pour cela des yogis? (On fait ici allusion aux pratiques des Yogis qui couvrent leurs corps de cendres.) Les proces s’exposent aussi au froid et à la chaleur; est-ce qu’ils sont alors des yogis”?

Les hommes peuvent, si cela leur plait et leur fait du bein, pratiquer des austérités, mais la seule cause de libération est la connaissance, dans le sens de réalisation. La vérité se trouve dans le texte védique: “Tout être est Brahman.” “Tout être” désigne ici le Monde. Dés lors le Monde est Brahman sous cette forme. Ne fuyez pas le Monde mais tàchez d’approfondir sa nature essentielle. Vivez dans le monde, jouissez du monde, accomplissant de bonnes actions qui portent de bons fruits, et en tout ne faites qu’un avec la Mère de tout. Chaque action alors revêt un caractére cosmique. On a alors la conscience que c’est la Mèe qui en nous jouit du monde. Ainsi le Yoga devient Bhoga ou jouisssnce, et le Monde est transformé en champ de libération (Mokṣāyate saṃsāra). Car pour qui sait que les choses sont au fond la Conscience ou la Mère en elle-même, pour celui-là elles cessent d’être des objets de désir.

Je conclus par un verset d’un hymne de la grande Mahākālā Saṃhitā énorme ouvrage Tantrique inconnu. Aprés chaque verset je dome un commentaire:

“Je ne torture pas men corps par des austérités.”

(Car le corps eat le séjour de la divinité (Devālaya). Il est la Mère. Pourquoi donc le torturer?)

“Je ne fais pas de pélerinages.”

(Car les lieux sacrés, ou Tīrtha, au sens esoterique, sont dans le corps de l’adorateur. Pour celui qui sait cela à quoi bon faire des voyages?)

“Je ne perds pas mon temps à lire les Védas.”

(On les a déjà étudiés. Ils rappellent les experiences spirituelles d’autrui. Ce que l’on demande est d’éprouver ces expériences soi-même. Il est dit dans le Kulārnava Tantra: “Retenez le sens même des Ecritures sacrées et rejetex tout le reste, de même que l’homme separe le bon grain de l’ivtraie.” Ce n’est ni la lecture ni les idées spéculatives qui donnent des fruits, mais la pratique, c’est-à-dire Sādhanā et Yoga.)

Et l’auteur de l’hymne, s’adressant à la Mére, conclut.

“Je me réfugie auprés de tes Pieds Sacrés.”

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